Traversée de l'Atlantique

28.3.20


Presque deux mois après avoir touché terre de ce coté-ci de l'Atlantique, en Martinique, voici le récit de notre traversée, en bref. Nous commencerons par le ressenti de la capitaine en second, Annik. Des impressions qui ont été écrits lors de son quart de nuit du 1er février. Ce fut une belle balade de 18 jours, du 16 janvier au 4 février dernier. Ensuite, François dévoilera quelques détails techniques pour mémoire.


Leçons de pêche donnée par professeur Théo au coucher de soleil

Mes impressions:

- Annik

Traverser un océan...

Certains diront que c’est de la folie, d’autres vous diront plutôt que c’est un rêve. Pour nous, ça faisait parti du projet. Mais ça implique quoi exactement ? De la préparation avant départ, des vérifications et une mise en ordre technique du bateau et de ses éléments liés à la sécurité, le nettoyage du bateau (coque, extérieur,intérieur), un approvisionnement suffisant pour tenir un mois, tester les moyens de communications satelitaires, etc.




Mais ce que nous ne pouvons pas faire tant que nous traversons pas, c’est de s’habituer à un rythme... ce rythme. Ce rythme qui peut paraître long à certains moments, surtout lors des périodes où Éole se fait absente. Des journées interminables quand le sommeil n’a pas été suffisant. Ou simplement longue parce que la routine en place vient prendre toute la place.



1er quart de navigation de nuit, sommeil, lever, mise à l’eau de la canne à pêche, déjeuner, vaisselle, 2e quart de navigation de jour, éducation avec maman pendant qu’elle navigue, un à un sur la banquette, courriel au routeur, préparation du dîner, inspection du grément, descente du gennaker pour inspection, repas, vaisselle, sieste, ménage, jeux, préparation du souper, vaisselle, suivi des autres quarts et rebelote...



Vous comprenez assez vite que d’après l’énumération faite, le temps pour soi est principalement lorsque nous sommes seuls pendant la nuit, dans l’obscurité.

Traverser un océan, c'est aussi espérer que rien ne casse. OK, il faut s’attendre à des bris qui peuvent être réparés en cours de navigation ou bien, espérer être le moins affecté possible.

Traverser un océan, c’est aussi vaincre la solitude et ses craintes. Au cours des jours, nous avons vu à peine 5 bateaux sur nos écrans. Ceux-ci étant toujours à une distance invisible à l’œil nu, à plus de 20 milles nautiques. C’est aussi donner des nouvelles via courriel et recevoir des réponses le lendemain ou dans les jours qui suivent. L’instantanéité n’est pas au rendez-vous. Oubliez les messenger, Facebook, Skype, il faut utiliser la bonne vielle méthode du courriel transmis à une vitesse de 160 k/sec!

Traverser un océan, c’est prendre une pause sociale. Aucune rencontre possible. Aucun apéro, aucun restaurant, peu de répit pour la cuisinière... Comme une quarantaine en temps de confinement, finalement, vue sur la cote et services en moins.

Traverser un océan c’est aussi quelque chose que l’on ne fait pas souvent... et qu'on ne souhaite pas oublier. Se rappeler du soleil plombant, des couchers de soleil kaléidoscope aux milles couleurs, des jeux de cartes, des jeux de société que l’on découvre, des documentaires, de la télé-série «The Stranger Thing », du cri des enfants lorsque le poisson a mordu. Se rappeler de cet espoir, voire de cette obsession que Théo entretenait à l'idée de pêcher le gros Blue Marlin de 16 kg, mais au lieu, de remonter des algues Sargasses et perdre des leurres... et surtout se rappeler des muffins aux bananes... Nous avions tout de même un régime de 150 bananes à passer, au moins !!!


Pour l'instant, prenons du bon temps dans les Caraïbes et patientons pour la prochaine traversé de l’autre océan en juillet prochain, si la crise se résorbe. Cette fois-ci, nous aurons l’expérience d’une première traversée !

Comment était notre transat ?


- François

Tranquille, vraiment tranquille. On a manqué de vent. Pour voir le tracé que nous avons emprunté durant cette traversée, je vous invite à cliquer ici. Vous y verrez nos positions quotidiennes ainsi que les messages que nous avons diffusé au fur et à mesure par notre Iridium GO!, un telephone satellite qui nous permet d'avoir également de l'internet (très très lent) pour nos communications écrites mais surtout pour avoir accès à des fichiers GRIB (Météo). Ces fichiers alimentaient notre stratégie et nos caps.

Au départ de Mindelo, des vents de 25 noeuds et une houle de 3 mètres nous font décoller à fond avec nos amis de Zoma qui quittent en même temps que nous. Mais rapidement, une fois passé à l'ouest de Santo Antao, le vent tombe avant de reprendre un 15 noeuds pour 2 jours.

Dès le premier jour, je commence les communications quotidiennes avec Benoit Villeneuve, notre routeur basé au Québec. En plus de valider nos lectures météo, il nous soutient sur tout plein d'autres éléments, dont le moral des troupes et tout autres conseils techniques. Voici un extrait de nos premiers échanges.

-----Original Message-----

From: "Benoit Villeneuve" <lsmlatitude@x.com>
Sent: Sat, 28 Mar 2020 12:24:23 -0400
Bonjour à vous tous,
Subject: Re: Météo 18 Janvier
Votre traversée débute vraiment bien avec de supers moyennes! Les conditions favorables vont se maintenir. Voici le portrait et les tendances pour les prochains jours. Le vent de NE 15 kt va tourner ENE ce soir et cette nuit. Il faut rester tribord amure et faire un peu plus de N que souhaité car dès dimanche le vent va diminuer et revenir jusqu’au NNE ce qui permettra de rajuster le cap et de garder un super angle au vent. La mer reste de 2 m marquée par une longue houle de NW. Pour les jours suivants, une dépression quasi stationnaire autour du 30 N 040 W va perturber l’alizé. Cela donnera du vent plus faible mais venant du N ce qui est favorable pour nous. Cela s’accompagnera d’une augmentation de la mer qui montera progressivement à 3 et possiblement 3.5 m sous forme d’une longue houle de NW. Je préciserai le moment venu.
La stratégie suggérée consiste donc à privilégier encore ce que j’appelle la route N. Pour vous simplifier la tâche, voici un waypoint pour remplacer le waypoint que vous visez actuellement : 18 00.0 N 038 00.0 W. Vous etes à environ 477 miles de là cap au 277 T. On se rappelle que l’idée reste de faire de l’ouest cap au 277 mais ce waypoint nous déculpabilise si on est temporairement incapable pendant que le vent est ENE sachant qu’on pourra l’atteindre lorsque le vent tournera NNE.

Finalement, concernant la drisse, c’est vraiment triste de voir que les efforts déployés pour réduire les frottements ne semblent pas porter fruit. L’inspection régulière reste la meilleure stratégie. Toutefois, comme on ne peut pas couper à l’infini la zone qui s’use, on pourra tenter de protéger la partie exposée aux frottements avec du DocTape. Il faudra l’appliquer très serré sur la drisse pour faire un surgainage qui passera dans le réa. Le temps que le DocTape se fasse bouffer par le frottement sera du temps gagné pour la gaine de la drisse. Tenez moi au courant des développements.
A demain
-----Original Message-----
From: "Francois Rancourt" <francois_rancourt@x.com>
Sent: Sat, 28 Mar 2020 11:22:23 -0400
Subject: Météo 18 Janvier

Bonjour Benoit 

Samedi, 18 décembre 12h 

Position 17d04,3N; 029d46,5’W 
SOG 5,8kts; COG 277 DTW: 288
BTW : 267

Configuration des voiles: 1 ris, tribord amure. J’ai pris un ris cette nuit avec des pointes à 28 knts. Ce matin, j’ai inspecté visuellement ma drisse. Il y avait eu ragage... décevant car j’avais monté en tête de mat, sablée les réas, même mis du dock tape... je savais que mon bord d’attaque était un peu détendu mais ma drisse bien tendue jusqu’au sommet.


J’ai alors coupe le bout usé et refait mon noeud de drisse. Je crois que je vais garder un ris tout le reste du trajet m’handicapant d’un demi noeud mais je ne peux imaginer rupture car avec cette houle, impossible de monter au mat pour remettre la drisse.
Vent T NNE 16-17 knts, Mer 2 m NE. Incidents : RAS État général de l’’équipage : le rythme s’installe. Jo se remet doucement mais fait toujours ses quarts.  Questions/Commentaires :  Pas pour l’instant.


Merci

Alors, en terme de conditions, comme je l'indiquais ci-haut, nous avons eu pratiquement rien en haut de 15 noeuds et de la petite houle, parfois croisée. Somme toute, très confortable. Nous avons donc parcouru 2200 miles nautiques pénard, à une vitesse moyenne de 4,8 noeuds. Heureusement que nous avions Jo, notre fidèle équipier, pilote sur le St-Laurent. Il a grandement facilité nos rotations de quart, aidant beaucoup Annik avec l'école le matin. Toujours à l'affut des ajustements à amener aux voiles pour grignoter le moindre quart de noeud. 

Toutes les voiles sont mis à contribution

Évidemment, de petits soucis sont venus ajouter un peu de piquant à cette traversée du Grand Bleu:

- Drisse de gennaker qui rague (frotte) au point de se rompre. Étant donné que nous étions toujours au portant, par faible vent, nous avions besoin de cette voile. Solution temporaire: vérification quotidienne de la drisse et pose de docktape. Et oui messieurs et mesdemoiselles, du docktape pour préserver la gaine et éviter qu'il y ait rupture de drisse sur notre voile neuve !

Exploit pour un gars qui souffre de vertige. Jo est allé repassé la drisse de gennaker qui s'est rompue. 
- Drisse de GV: Problème récurrent aussi. Solution temporaire: prendre un ris permanent pour éviter le ragage et maintenir une bonne tension. Dommage, sachant que cette surface de voile était précieuse au peu de vent que nous avions.

On bricole et on raboutte des ceintre pour "fisher" la bosse du 1er ris dans le bome. 

- Bosse du 1er ris. Là aussi, il y avait ragage. Nous sommes surpris de découvrir toutes ces zones de faiblesses car nous n'avions rien eu de cela sur nos mois de navigation en Méditéranée. Par contre, avoir une légère houle qui fait cogner le bome et la GV 24/24 heures, ça permet de découvrir des petits soucis insoupçonnés.

Enfin tribord amure. Nous avons également réalisé que la structure du bimini au poste de barre était un peu trop haut. Du coup, le bome venait souvent s'y frotter lorsque nous étions à babord amure.


- La contrainte de temps pour Jo. Nous avions estimé que la traversée serait d'une durée de 14 à 18 jours. Jo avait fait des pirouettes avec son employeur pour obtenir 20 jours de congé pour nous accompagner dans cette aventure. Finalement, on se rendra bien compte que le 18 jours étaient suspendus au-dessus de nos têtes comme une épée de damoclès tout le long du parcours. Ce qui nous a forcé à utiliser considérablement les moteurs durant les périodes où le vent ne nous poussait pas au-dela de 4 noeuds. Au final, nous avons consommé les 400 litres que nous avions dans les réservoirs, à quelques litres près. Il fallait tout de même gérer cela, sachant que nos moteurs consommait 2 litres à l'heures pour rouler à environ 2000 RPM.

Sans omettre dans le calcul la génératrice que nous faisions fonctioner une heure par jour combler nos besoins énergétiques. L'autopilote et les instruments électriques étaient de gros consommateurs, surtout du fait qu'ils fonctionnaient 24/24. En prime, ça nous permettait de faire fonctionner notre dessal pour nous fournir nos 150 litres de consommation quotidienne. Dernière prime: avoir notre douche chaude quotidienne.

Nos p'tites joies:

- Les daurades finalement pêchées par Théo





- Avoir une cook hors paire spécialisée en comfort food. Annik a su géré de main de maitre.

Gateau aux bananes, bananes frites, muffins au bananes, purée au bananes, pain au bananes, alouette. 


Festin de mi-parcours, une petite sangria et un blanc au passage. 
- Arriver dans le calendrier fixé et en ayant même le temps d'aller faire une petite plongée dans les coraux.

- La découverte dans les derniers jours d'une configuration de voile exceptionnelle que nous aurions du utiliser dès les premiers jours. Nous l'avons surnommé l'effet papillon. On oublie la GV qui nous rend fou à force de cogner et de dégonfler le gennaker à l'avant, surtout sur les allures dépassant les 140 degrés. Déployer le génois et le gennaker en même temps pour prendre un cap entre le 150 et 180, c'est génial, paisible et tranquille. L'avantage du cata, c'est que le tangonnage n'est pas nécessaire. Un simple boutte frappé sur un taquet puis ramener à l'arrière sur poulie maintient les voiles bien écartées pour capter le vent et ne pas se dégonfler.

Bref, une belle traversée tranquille qui nous a semblé très différente de celle des équipages qui étaient passé par là deux semaines avant et deux semaines après. Ils se sont tous fait brasser la cage par des vents soutenus de 20 à 30, même 35 noeuds par des croisées de 2-3 mètres, voire plus. Si nous avions eu le choix entre les deux scénarios, nous aurions choisi le notre. Pas de casse, paisible, école à bord, bonne cuisine à chaque jour, aucun malade, que des avantages... sauf les premières heures pour JO.

The butterfly effect







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